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LE PROCÈS ZOLA


térieux dossier et de la pièce principale qui s’y trouve ; Henry va jurer, tout à l’heure, que, depuis l’avant-veille du procès de Dreyfus jusqu’au jour où Picquart s’en empara, le dossier n’était pas sorti de l’armoire de fer. Mais ils sont de l’autre côté, avec les chefs.

Il savait « ce que la loi militaire eût fait de lui, s’il s’était abandonné à un geste trop vif ou à une parole imprudente[1] ». Surtout, bien qu’on le traitât de rebelle, il avait conservé la religion de la discipline, et, malgré les persécutions qu’il avait déjà endurées, quelques illusions. Il ne comprendra pleinement que demain, après l’outrage public qu’il recevra d’Henry, qu’avoir surpris le crime du haut État-Major et avoir refusé de s’y associer, ç’avait été le forfait inexpiable. Le lien était rompu ; rien ne le renouera plus. Ayant fait montre de prévoyance, il eût pu s’en faire gloire ; il s’en tut et, bien plus, confessa que, sentant « de la gêne autour de lui », quand il avait découvert Esterhazy, il s’était rendu compte « qu’il eût bien fait de ne pas continuer ». Il ne fit entendre aucune plainte ; s’il passa un nuage sur son front, ce fut à la pensée de quitter l’armée où il se flattait « d’avoir gardé des sympathies très vives ». Il eût pu accuser ceux qui l’accusaient. Il se loua de « la très grande courtoisie » de Pellieux, qui l’avait si durement traité. Il n’employa que des euphémismes en parlant des manœuvres dont il avait été l’objet. Il atténua, estompa tout.

Cependant, son récit porta beaucoup, non seulement à cause de la nouveauté des faits qu’il révélait et qui parurent décisifs, bien que mutilés, à tous les esprits sans préjugés, mais en raison même de cette circonspection.

  1. Procès Zola, II, 346, Labori.