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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pièce qui était signée « Alexandrine » ; le juge fit mine de l’examiner de près ; Gonse, assez précipitamment, la lui enleva des mains, sous prétexte qu’il était pressé. Puis, quand Bertulus prit congé : « Vous voyez Picquart ; dites-lui bien que, de son attitude à l’audience, dépend tout son avenir. Il sait que je le tiens en haute estime. Ne me nommez pas, mais faites-lui comprendre que sa carrière militaire ne sera pas brisée, s’il sait rester militaire[1]. »

Bertulus accepta la mission, et, tout le temps que dura le procès, chaque fois qu’il vit Picquart, et il le vit presque tous les jours, il lui rappela « ce qu’un officier de son rang devait à l’armée ».

Picquart répliquait, froidement, qu’il saurait concilier ses deux devoirs, de soldat et de témoin.

Il essaya, en effet, de le faire.

Dans la salle des témoins, pendant les quatre premières audiences, il se tint sur une extrême réserve. Il parut l’un de ces hommes qui gèlent, dans l’air, les questions indiscrètes. Toutes ces histoires de faux télégrammes (que Leblois et Trarieux avaient essayé en vain d’élucider), et ces autres, plus confuses encore (que Lauth et Gribelin avaient confirmées), de clichés photographiques retouchés, de correspondances saisies à la poste, de lettres antitimbrées, de perquisitions sans mandat et de propositions suspectes, intriguaient beaucoup.

  1. Cass., I, 221, Bertulus. — Gonse (Cass., 571) place cette conversation « après le procès Zola » et conteste avoir tenu les propos rapportés par le juge ; il lui a montré, non pas le faux d’Henry, mais la pièce Canaille de D… « On m’avait dit de me méfier de Bertulus ; le conseil était bon. » — De même, à l’enquête des chambres réunies. (II, 24.)