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LE PROCÈS ZOLA


rage simple, mais à toute épreuve, et, quoique le sang riche de la Gironde coulât dans ses veines, avec quelque chose d’austère et de grave qui le faisait, bien que catholique, passer pour protestant.

IX

Du Paty de Clam, le lendemain[1], succéda à Trarieux.

Depuis que Leblois avait raconté ses démêlés avec les Comminges, il faisait un terrible effort sur lui-même pour cacher sa rage. Il continuait à porter beau, dans son uniforme de colonel, très sanglé à la taille, le teint blanc et rose, le monocle à l’œil, et, jouant avec ses aiguillettes d’or, il affectait un grand mépris pour ses détracteurs. Mais, parfois, il n’y tenait plus, et, comme mû par un ressort, il arpentait les couloirs, l’allure d’un ataxique, avec des gestes de pantin[2]. Il était dur, en effet, pour un homme comme lui, orgueilleux entre tous, hier encore l’un des favoris du monde aristocratique, allié aux plus grandes familles, d’avoir été dénoncé, d’abord comme un tortionnaire et un fou féroce, par un écrivain illustre, et maintenant, dans un tel procès, d’un retentissement universel, comme un suborneur de jeunes filles, qui se vengeait par des lettres anonymes et rachetait des enveloppes mystérieuses à des dames voilées, la nuit, derrière un bal public. L’expiation commençait.

Cependant, il n’éprouvait aucun remords ni de ses

  1. 10 février 1898.
  2. Ph. Dubois, Impressions d’un témoin, 1er février.