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LE PROCÈS ZOLA


infâme menteur[1]. » Et, se haussant sur ses jambes sept fois « reboutées », le vieux soldat empoigna son ancien camarade, muet et pale sous l’outrage, que Gonse lui arracha des mains[2].

Dans cette même salle des témoins, les officiers continuaient à s’écarter de Picquart, pendant qu’à côté, dans la salle des assises, chacun des témoins militaires s’acharnait contre lui. Ravary et Pellieux s’y employèrent de leur mieux[3], le vieux commandant avec son ordinaire vilenie, cauteleux et louche, le général, d’une voix franche, lançant son réquisitoire comme un régiment à l’assaut, et, après tant de militaires qui avaient l’air de gratte-papiers, l’air d’un soldat qui est un chef.

Le faux d’Henry ne lui ayant laissé aucun doute sur la trahison de Dreyfus, il en avait conclu (logiquement) que les ennemis de l’armée calomniaient Esterhazy. Aussi, au contraire des camarades qui, tout en jurant que Dreyfus était coupable, ne parlaient pas d’Esterhazy comme d’un innocent, il se porta fort pour lui, « fier d’avoir participé à son acquittement et d’avoir prouvé qu’il n’y avait pas deux traîtres parmi les officiers ». Dès lors, les prétendues preuves de Picquart sont des faux savamment combinés, « les mailles du filet tendu par les juifs » ; « les fac-similés du bordereau ressemblent singulièrement à des faux » ; les lettres « à la Boulancy » sont aussi des faux, et les exper-

  1. Un député de la Mayenne, Chaulin-Servinière, avait raconté tenir de Lebrun-Renaud que Dreyfus lui avait fait des aveux précis. (Intransigeant du 7 février 1898.)
  2. Séverine, Vers la lumière, 89 ; Ph. Dubois, Impressions d’un témoin, dans l’Aurore du 11 février ; récit de Forzinetti dans le Siècle du 7 juillet 1898. Il attendit en vain les témoins de Lebrun.
  3. 10 février.