Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
360
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Il était significatif que d’Ormescheville, Vallecalle, les juges de Dreyfus, Forzinetti, dix témoins, prêts à convaincre Lebrun-Renaud de mensonge, et Lebrun lui-même, qu’un remords sembla avoir tourmenté à cette époque[1], ne parussent à la barre que pour y entendre le monotone refrain : « La question ne sera pas posée. »

Il était significatif encore que Mme de Boulancy refusât de comparaître, qu’elle eût changé de domicile pour échapper aux citations. Il fallut batailler pour qu’une commission rogatoire lui fût adressée[2].

Le général Guerrier et Maurice Weil avaient été assignés trop tard ; son pouvoir discrétionnaire permettait au président de les faire entendre ; il s’y refusa[3].

Des incidents de couloirs jetaient sur ces incidents d’audience une lumière crue. On apprit, un jour, que Mme de Boulancy était venue jusqu’au Palais de Justice, dans un accès de colère ou de vengeance, puis qu’elle était repartie dans un de ses accès de frayeur. (Esterhazy la poursuivait de ses menaces, jusque chez elle ; tremblante, « à travers la porte entre-bâillée et maintenue par une chaîne de sûreté[4] », elle le suppliait de se retirer.) Un autre jour, c’était Forzinetti qui abordait Lebrun-Renaud, le prenait par la tunique : « Si vous avez tenu, au sujet des aveux de Dreyfus, après ce que vous m’avez dit à moi, le langage qu’on vous prête, vous êtes un

  1. Le 9 février 1898, Lebrun-Renaud dînait chez l’abbé Valadier ; la conversation tomba sur Dreyfus : « Ne m’en parlez pas, dit-il, il n’a fait que hurler son innocence. » Le soir, un officier vint le chercher de la part de Pellieux. Lebrun s’excusa auprès des invités : « Le général désire s’entretenir avec moi au sujet de ma déposition. » (Cass., I, 388, Maurice Hepp.) L’abbé Valadier (I, 296) dit qu’il ne fut pas question de Dreyfus ni des aveux.
  2. Procès Zola, I, 134, 210, 303.
  3. Ibid., I, 259.
  4. Ibid., I, 510 et suiv., Mme de Boulancy.