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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de trahison, de savoir quels sont les documents qui raccusent. Et d’un vif mouvement d’éloquence, il emporta l’auditoire :

Le silence des généraux doit-il être interprété comme un aveu ? Il est bien fait, en tous cas, pour troubler profondément toutes les consciences… S’il n’y a pas eu communication clandestine et illégale, pourquoi ne pas le proclamer ?… Voilà ce qui inquiète, voilà ce qui prolonge et perpétuera, peut-être, ce procès qui est un mal pour la Patrie.

Oui ! que faut-il croire ? que faut-il penser de ce silence ? Ne sommes-nous plus une nation libre, respectueuse de la loi, vantant la loyauté et la franchise ?

Y a-t-il un magistrat parmi ceux qui m’écoutent, un de mes confrères du barreau, un de vous, Messieurs les jurés, qui puisse comprendre cette incertitude sur un fait de cette importance[1] ?

Salles, quand il parut à la barre, avec sa figure de brave homme, les lèvres agitées d’un tremblement nerveux, était indécis sur son devoir. À qui obéir ? Au juge ? À sa conscience ? Il était le maître du procès, il tenait, dans ses mains, le sort de cette immense affaire.

Delegorgue, comme tout l’auditoire, eut la sensation aiguë que ce témoin, d’un mot, d’un seul, pouvait renverser tout l’échafaudage de mensonge. Il refusa, dès lors, de lui poser cette question : « Connaissez-vous un fait qui puisse être intéressant pour la défense de Zola ? » Et, laissant Labori s’indigner, il l’interrogea lui-même : « Avez-vous quelque chose à dire relativement à l’affaire Esterhazy ? » « Non ! reprit Salles, sur l’affaire Esterhazy, je n’ai rien à dire ! » Sur quoi, tout de suite, il

  1. Procès Zola, I, 207, Thévenet.