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LE PROCÈS DE ZOLA


d’Esterhazy à Billot, tous ceux qui incarnaient « l’honneur de l’armée » prissent la fuite devant la preuve.

La défense déposa d’énergiques conclusions ; elle réclamait la comparution des défaillants, « par tous moyens de droit ».

Cette retraite (avant la bataille) était si piteuse, la rébellion si manifeste contre la loi, que la Cour, mais le lendemain seulement, ordonna la comparution de tous les témoins.

IV

Lucie Dreyfus, la première, parut à la barre[1].

Zola avait rêvé une belle scène, cruelle et tragique : la veuve du mort-vivant qui eût raconté elle-même la tragédie qui avait brisé son bonheur, mais laissé intacte, debout, sa foi dans son mari.

Elle était vêtue, comme toujours, de noir, très pâle, tremblante devant cet énorme auditoire, si absorbée dans la pensée de ne point défaillir qu’elle n’entendit pas, sur son passage, une horrible parole. Comme elle portait une jaquette bordée de fourrure, une voix de femme murmura : « La dernière pelisse de son mari[2] ! »

Nécessairement, aux termes de son arrêt de la veille, Delegorgue refusa de laisser mettre en cause le jugement de 1894. Il prononça alors, pour la première fois, la formule qui deviendra légendaire, qui, cent fois, va tomber et retomber, « avec le bruit régulier d’un piston

  1. Audience du 8 février 1898.
  2. Séverine, Vers la Lumière, 69.