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LE SYNDICAT


réflexion[1]. — De là, aux temps troublés, quand éclatent ces émotions contagieuses, l’ascendant extraordinaire, cent fois constaté, de véritables fous échappés la veille d’un asile. — Elle sent, mais ne raisonne plus. Vous essayez en vain de lui démontrer une erreur ou une vérité. Comme le sujet dans l’hypnose appartient au médecin qui la endormi et, tant que dure le sommeil provoqué, n’obéit qu’à lui, insensible aux bruits et aux excitations du dehors[2], de même la foule, sourde à toute autre voix, appartient au meneur, parfois anonyme, qui s’est emparé d’elle et qui la conduit despotiquement où il veut, comme un automate.

Aussi bien, le spectacle d’un seul individu irrité ou qui joue la colère suffit-il à communiquer à toute la masse une fureur sincère, « car c’est une loi universelle dans tout le domaine de la vie intelligente que la représentation d’un état émotionnel provoque le même état chez celui qui en est témoin[3]. » Et plus la concentration de la pensée est faible, plus les mouvements, qui naissent de l’hallucination, sont impétueux et violents.

Telle on a vu la foule, le peuple, dans toutes les grandes commotions historiques, guerres et révolutions. Or, c’est une guerre civile qui commence, et une seule idée domine cette masse en délire : Comme jadis la patrie, aujourd’hui c’est l’armée qui est en danger.

  1. Balzac, Du Gouvernement moderne : « Le peuple ne voit jamais, il sent. » — Kierkegaard, le plus grand penseur des pays Scandinaves, dit plus durement encore : « La foule est la non-vérité. » — G. Lebon. 26, 35, 55 ; Sighele, 12, 15, 65.
  2. Paul Sollier, Genèse et nature de l’hystérie. I. 33.
  3. Espinas, Des Sociétés animales, 386. — De même Cabanis, Œuvres complètes, III, préface, 14.