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LA DÉCLARATION DE BULOW

Mon affaire devant la neuvième chambre tint deux audiences[1]. Après l’audition de mes témoins (Berr, à qui Lemercier-Picard avait remis la fausse pièce, et Ranc que j’avais avisé, le jour même, que le document était forgé), la cause était entendue. Rochefort, très nerveux, dut reconnaître qu’il avait remis cinq cents francs au faussaire qui l’avait berné.

Barboux, dans sa plaidoirie, fit surtout le procès de l’antisémitisme ; il rappela que j’avais toujours défendu la tolérance et, même contre mes amis politiques, la liberté des autres. Je n’en étais point récompensé. C’est ce qui donne leur prix aux luttes pour les idées.

L’avocat de Rochefort, Desplas, célébra le patriotisme de son client ; racontant la visite de Pauffin, il dit que « le ministère de la Guerre avait fait porter le drapeau français chez Rochefort, parce que, nulle part, il ne pouvait être mieux défendu que là. » Il fit aussi l’éloge du « brave commandant Esterhazy » et m’injuria tant qu’il put[2]. À plusieurs reprises, le public, très nombreux, manifesta. Le président Richard menaça de faire évacuer la salle. À la sortie, Rochefort fut acclamé et je fus hué. Des avocats en robe, des gens du monde, des étudiants catholiques criaient à tue-tête : « Mort aux juifs ! À bas les traîtres ! À bas Reinach[3] ! »

Comme il résultait à l’évidence du procès que Lemercier-Picard avait été l’instrument de plus gros personnages, Bertulus demanda des renseignements sur son compte au ministre de la Guerre et sembla vouloir pousser l’affaire. L’esprit d’investigation était ce que ces mi-

  1. 25 janvier et 2 février 1898.
  2. « Il a littéralement, avec le scalpel d’or de son ironie, déchiqueté Yousouf. » (Libre Parole du 3 février.)
  3. Éclair, Petit Journal, Rappel, Gaulois, etc.