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LA DÉCLARATION DE BULOW

X

Le tribunal avait fixé au 25 janvier mon procès contre Rochefort ; la police s’obstinait à ne pas trouver Lemercier-Picard. Comme je m’en plaignis à Bertulus, le juge sourit. Il avait lancé un mandat d’amener contre le faussaire ; le reste ne le concernait point. J’insinuai que l’État-Major, la police étaient d’accord pour ne point s’embarrasser d’un témoin gênant. Bertulus n’objecta rien : « Lemercier-Picard, me dit-il, viendra, un jour, vous trouver ; vous n’aurez qu’à me prévenir ; je l’arrêterai moi-même chez vous. » L’idée de tendre ce piège, même à ce faussaire, de livrer l’homme, entré, sans méfiance, sous mon toit, me répugna.

La prophétie de Bertulus se réalisa. Le 19 janvier, je reçus une lettre de Lemercier-Picard. Il me faisait sa confession : « Je ne suis pas l’auteur du faux (Otto) ; je n’ai été que l’instrument d’une machination scandaleuse. Lié par des engagements jusqu’au prononcé du jugement du premier conseil de guerre, je ne pouvais m’y soustraire, sans m’exposer aux rigueurs de ceux à qui je devais obéissance… Aussi fidèlement que possible, j’ai rempli mes engagements, tandis que j’attends encore que ceux pour lesquels je me suis exposé remplissent les leurs. » En conséquence, et « se souvenant qu’il était Israélite », il offrait de me documenter « sur le rôle qu’il avait joué, à l’instigation de Rochefort, d’Henry et de Du Paty. » Il a mis « en lieu sûr toutes les pièces utiles à sa justification ». Il me téléphonera le lendemain « pour connaître ma résolution[1] ».

  1. La lettre, datée du 18, était signée Picard.