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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Yves Guyot, Depasse, les libéraux. « Vous perdez votre raison d’être, écrivait Guyot aux modérés ; de quel droit, désormais, avec quelle autorité pourrez-vous imposer le respect de la loi aux anarchistes, à tous les partisans de la révolution sociale ? Les partis ne sont forts que par leur logique ; ils périssent par leurs inconséquences[1]. » En vain, j’évoquai le passé — La pièce secrète du procès Danton[2] ; — en vain Jaurès invoquait l’avenir ; en vain Boutroux, la philosophie, Duclaux, la science, multiplièrent les appels à la raison[3]. Rien ne servait de rien.

Plusieurs qui auraient dû parler, ou mieux, agir, Loubet, Fallières, Bérenger, Waldeck-Rousseau, Magnin, se réfugièrent derrière la fameuse excuse de Sieyès : « Qu’importe le tribut de mon verre de vin dans ce torrent de rogomme[4] ? » Quand la folie, d’elle-même, se sera épuisée, ils entreront en scène, avec leur influence intacte, qu’ils auront gardée pour la République. Alors, ils rétabliront l’ordre, la justice. Les combattants de la première heure auront reçu trop de coups, trop de blessures, amassé trop de haines pour pouvoir accomplir l’œuvre nécessaire. Eux, ils la feront. En effet, ils tenteront de la faire ; mais trop tard. Ils se sont condamnés eux-mêmes à une œuvre incomplète. La grande joie, ils ne la donneront pas à la conscience française. La grande tristesse, ils ne l’effaceront pas de l’histoire de la République.

  1. Siècle du 17 janvier 1898. (Appel aux républicains libéraux.) L’article, d’une éloquence forte et simple, commence ainsi : « Que faites-vous ? Que font vos associations dans cette redoutable affaire Dreyfus ? »
  2. Siècle du 5 février.
  3. Temps du 17 janvier,
  4. Sainte-Beuve, Causeries, V, 209.