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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Billot, non seulement, ne voulait pas être seul à comparaître, fût-ce à cheval comme les révisionnistes l’y invitaient[1], mais il était bien décidé à ne pas déposer du tout. La loi[2] donne au garde des Sceaux le droit d’autoriser l’audition des ministres ou de la refuser ; Billot s’entendit avec Méline pour que l’autorisation du garde des Sceaux lui fût refusée. Cela parut à Boisdeffre la marque certaine de ce qu’on appelle, en argot militaire, un « lâchage ». Billot chercha à lui expliquer que la loi, malheureusement, oblige les témoins, quels qu’ils soient, sauf les ministres, à déférer aux appels de la justice[3]. Tout ce qu’il peut faire, c’est de ne pas délier les officiers du secret professionnel. Ils se rendront à la « grotesque citation de Zola[4] », mais il leur sera loisible de rester muets.

Boisdeffre ne se résigna pas encore. Il fit marcher Drumont : « Que se passerait-il, en Allemagne, si un passionné d’immondices, un spécialiste d’œuvres lubriques », insultait les chefs de l’armée prussienne ? Mais Billot et tout le Gouvernement sont atteints de « démence imbécile ». Ce sont des « coquins ». S’ils avaient eu seulement une parcelle « d’énergie et d’honnêteté », ils eussent fait arrêter Mathieu Dreyfus et les meneurs du Syndicat. Or, ils jouent double jeu « comme ce Foulon qui, au mois de juillet 1789, faisait de falla-

  1. Aurore du 3 février 1898.
  2. Article 1er du décret de loi du 4 mai 1812.
  3. Pelletan, tout hostile qu’il fût à la Revision, protesta contre cette grève projetée des témoins militaires : « Ce serait un coup d’État militaire… Nous serions un pays conquis par sa propre armée. » Lanterne du 26 janvier 1898.
  4. « L’information annonçant que Billot exige que les officiers, atteints par la grotesque citation de Zola, comparaissent devant la cour d’assises, sauf à déclarer qu’ils n’ont pas le droit de parler, confirme ce que nous avons dit du double jeu que joue le ministre de la Guerre. » (Libre Parole du 1er février.)