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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


des renseignements à l’un de ses agents secrets[1].

Ici encore, le mal vint de la presse, des journalistes intempérants, au ton trop doctoral ou haineux. Ce fameux bon sens français, cet esprit français, plus fameux encore, que sont-ils devenus ? Ce pays de Voltaire a donc chû dans la démence ou l’imbécillité finale ? Ces joies méchantes blessèrent cruellement. Les moins chauvins, les premiers apôtres de la Revision, s’irritèrent de ces dénigrements qui desservaient une juste cause et qui étaient injustes. Il y avait, sans doute, dans les prisons de Poméranie des victimes d’erreurs judiciaires. Qui, jamais, s’était levé pour les défendre ? Quand l’Angleterre se vengea sur Byng, à la façon de Carthage, parce qu’il avait été malheureux à la guerre, la même folie l’avait aveuglée, et Pitt n’avait pas été moins outragé que Scheurer.

Les rapports, naguère très cordiaux entre l’ambassade d’Allemagne et Hanotaux, s’étaient fort refroidis. Munster cachait à peine sa mésestime au jeune ministre. Le vieux gentilhomme n’était point sentimental, mais il avait le culte de l’honneur. L’attitude embarrassée d’Hanotaux trahissait son inquiète conscience. Il avait été élevé à une trop noble école pour ne pas se condamner lui-même. Il était aussi trop renseigné pour ne pas savoir que toutes les chancelleries étaient instruites des déclarations catégoriques de l’Allemagne et de l’Italie et qu’on le jugeait en conséquence. Comme il n’était pas vraisemblable qu’Ha-

  1. Le fait a été affirmé, à plusieurs reprises, par le général de Rosen, attaché militaire de Russie à Berne. Je reviendrai sur les relations d’Esterhazy et d’Henry avec la Russie. (Voir p. 562.) — À Rome, Primerano, chef de l’État-Major général, quand il parlait d’Esterhazy, l’appelait ouvertement : questo birbone (ce brigand).