Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


à cette tutelle prolongée, le confessionnal le leur ramène. Peu à peu, dans le beau monde aristocratique et le monde bourgeois qui « pense bien », le jésuite a remplacé, comme directeur, les autres moines, le simple prêtre, bon pour les petites gens. Il pénètre ainsi au secret des familles, documente une immense agence d’informations.

Partout des milliers d’obligés, de fidèles, attendent, pour le colporter, le mot d’ordre, qui vient de la petite cellule du père Du Lac, si simple, un crucifix sur le mur nu et, sur la table de travail, toujours ouvert et annoté, l’Annuaire.

VI

Il fut manifeste, au bout de peu de jours, que ce coup d’audace réussirait, que la France prendrait parti contre cet ennemi imaginaire : le Syndicat.

Assurément, la résistance passionnée que rencontre l’idée de la revision a d’autres causes, profondes ou accidentelles. Pourtant, l’organisation, si parfaite qu’elle soit, des défenseurs de la chose jugée, la difficulté de croire à une vérité plus invraisemblable, dans son horreur, que tous les mensonges, les intérêts politiques qui sont en jeu, ne suffiraient pas à expliquer une aussi éclatante et longue victoire de l’Iniquité.

En effet, pour que le juste fût sauvé, il eût suffi que la question soulevée, qui était seulement judiciaire, restât sur le seul terrain de la justice. Là, si les bruits du dehors n’y parviennent pas, le crime d’Esterhazy est trop certain pour qu’il ne soit pas reconnu. Partant, de deux condamnations inconciliables sort la revision.