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LA DÉCLARATION DE BULOW

dirais tout haut toute ma pensée. » S’il presse ainsi Méline, c’est qu’il distingue entre la question de fait (Dreyfus est-il innocent ou coupable ?) et la question de droit : la loi bafouée et violée.

Mais Méline savait que l’aveu public de la communication de pièces secrètes entraînerait la nullité du procès ; en conséquence, il refusait le « oui » ou le « non » dont Jaurès se déclarait prêt à se contenter.

Dupuy, quelques jours auparavant, avait eu un long entretien avec Mercier. Celui-ci lui avoua l’emploi illégal des pièces secrètes. Dupuy s’en tut. Se taire n’est pas mentir. Je demandai à Barthou de m’entendre pendant une heure : « Vous serez édifié ; vous ne pourrez terminer cette affaire que par la clarté. » Il refusa. Trarieux fit la même tentative sans plus de succès.

Cela était nouveau dans l’histoire du parti républicain. Bon pour des vieux comme Scheurer de ne pouvoir plus dormir à la pensée d’un innocent au bagne. Les jeunes (les Deschanel, les Lavertujon, les Poincaré) s’en accommodèrent fort bien. Peut-être Gambetta a-t-il opposé trop tôt la politique des résultats à la politique des principes. Par résultat, ils entendirent leur avantage personnel. Et, trop tôt, ils étaient « arrivés », comme Jaurès le leur rappela un jour[1], « quand l’ouragan du Panama passa sur leurs aînés ». Ils s’étaient gardés alors de prendre part à la lutte, se tenant à égale distance des sycophantes et des accusés, « ne portant pas les coups, n’en recevant pas non plus », et se bornant à féliciter, « par de discrets sourires », les démolisseurs qui leur déblayaient le terrain. Maintenant qu’ils tenaient, les uns le pouvoir, les autres les avenues du pouvoir, ils n’entendaient pas y renoncer pour une

  1. Discours du 3 juillet 1897.