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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ils été saisis de pièces secrètes sans qu’elles aient été communiquées à l’accusé ? Cette question est la plus poignante de toutes. Oui ou non, a-t-on respecté ou violé les garanties légales qui sont le patrimoine commun que tous les citoyens doivent défendre, même au profit d’un juif ? — Je vous réponds que nous ne voulons pas discuter l’affaire à la tribune et que je ne veux pas servir vos calculs. — Pourquoi vous réfugiez-vous systématiquement dans le huis clos ? S’il est vrai que, sans un péril de guerre, sans un froissement mortel, nous ne puissions plus publier qu’un officier français a communiqué des renseignements à une puissance voisine, je demande à quoi servent tant de sacrifices, toutes ces combinaisons de prudence, ces négociations d’assurance dont on parle si souvent ? Mais ce n’est pas vrai, puisque, l’un après l’autre, tous ces documents si redoutables, le bordereau, la pièce secrète, la carte-télégramme, les rapports des experts sont divulgués, et par les accusateurs eux-mêmes, sans que la sécurité du pays soit menacée. De quoi donc avez-vous peur si ce n’est de convenir que l’État-Major lui-même a conçu des doutes sur la culpabilité de l’un ou sur l’innocence de l’autre ? — Le Gouvernement ne veut pas se substituer à la justice du pays. »

Et « cette mimique de sourd-muet[1] », Méline ne la porta même pas à la tribune. Ces courtes phrases dédaigneuses, il les dit de sa place, pour bien montrer sa résolution « de ne pas servir les calculs » des partisans de la Revision.

Jaurès avait pris la précaution de déclarer que, sur le fond même de l’affaire, il n’avait pas encore de certitude : « J’affirme sur l’honneur que, si je l’avais, je

  1. Clemenceau, Aurore du 26 janvier 1898.