Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309
LA DÉCLARATION DE BULOW


qui déchaînent dans les meetings et dans les rues, les haines de sectes et les passions religieuses » ? Ainsi, le gouvernement se trouve dans cette situation singulière qu’il ne peut plus prononcer une seule parole sans poignarder, sans flétrir une partie de ceux dont les suffrages le font vivre ». Or, pourquoi tout cela ? « Parce que la question qui est posée devant le pays ne peut pas être résolue par des incidents ou des polémiques de séance ».

Et alors, il fit, hautement, sa profession de foi, identique à celle de tous ceux qui, depuis des mois, criaient vers la justice : « Savez-vous ce dont nous soufrons ? ce dont nous mourons tous ? Je le dis sous ma responsabilité personnelle : Nous mourons tous, depuis que cette affaire est ouverte, des demi-mesures, des réticences, des équivoques, des mensonges, des lâchetés ! Oui, des équivoques, des mensonges, des lâchetés ! »

Il ne parlait plus, il tonnait, le visage empourpré, le bras tendu vers les ministres qui protestaient, vers la droite qui beuglait. Mais plus les clameurs devenaient furieuses, plus haut s’élevait sa voix, comme un grand cri d’oiseau de mer dans la tempête : « Il y a, d’abord, mensonge et lâcheté dans les poursuites incomplètes dirigées contre Zola. » (Brisson le rappelle à l’ordre.) « Le huis clos, tout au moins, a besoin de ce correctif nécessaire de la libre critique au dehors. » (Les clameurs redoublent) : « Mais, enfin, puisque vous portiez ce document au jury pour que le jury décidât, de quel droit avez-vous fait un choix entre les diverses parties de cet article ? »

Il y avait sur les bancs de l’extrême droite royaliste un certain comte de Bernis, député du Gard, qui avait la spécialité des interruptions grossières qu’il poussait d’une voix rauque et qu’il accompagnait d’une espèce