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LA DÉCLARATION DE BULOW


puisque Billot, en proclamant que Dreyfus a été justement condamné, a imposé l’acquittement d’Esterhazy dont la condamnation eût été la revision immédiate et pacifique ! Mais tous ces faux-fuyants, débités sur un ton d’extrême violence, ravirent la Chambre, et les applaudissements devinrent des acclamations sans fin, quand Méline fonça sur les socialistes, leur reprocha de causer, par leurs attaques contre l’armée, « une grande satisfaction à tous les ennemis de la France ». Une fois de plus, il déclara que le Gouvernement n’avait pas à connaître de l’Affaire, ce qui eût pu être exact si la justice avait été laissée libre. Et, volontiers, il céderait sa place à Cavaignac, il le remercierait même de la prendre, s’il le pouvait faire « sans inconvénient pour le pays ». Mais « ce que nous défendons, ce sont les intérêts permanents du pays, c’est notre puissance militaire, c’est le bon renom de la France devant l’Étranger » ; une telle tâche, on ne la déserte pas, « et nous resterons comme des soldats, à notre poste ».

Cette image militaire porta, au plus haut degré, l’enthousiasme. Sauf le petit groupe de l’extrême gauche, toute l’assemblée fut debout, applaudissant avec frénésie. Jamais Berryer, jamais Gambetta ne connurent pareille ovation.

Cavaignac essaya de se relever. Il dit, mais d’un ton où perçait un amer désappointement, que « le résultat moral qu’il avait poursuivi se trouvait atteint ». Dès lors, vaincu et vainqueur à la fois, il retirait son interpellation.

Aussitôt. Jaurès la reprit.

Une révolte bouillonnait en lui depuis trop longtemps. Trop longtemps, il avait contenu, retenu le cri de sa conscience, asservi son génie à la médiocrité des com-