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LE SYNDICAT


a-t-il commis cette imprudence : révéler lui-même son projet ?

Par orgueil, sans doute, dans la joie d’un premier triomphe, si facile, qui parut définitif. Il a mis la griffe, enfin, sur la France, sa plus ancienne ambition. Il ne peut s’en taire.

Cependant, il serait excessif de tout rapporter aux Jésuites. Ce serait tomber dans leur mensonge favori : tout rapporter aux Juifs, aux francs-maçons. Dans l’Église même, il y eut, comme sous la Ligue, d’autres foyers d’intrigues et d’action. Les grossiers assomptionnistes, qui ont succédé aux capucins d’autrefois (les « chiens des jésuites »), les dominicains, véhéments ou subtils, des curés populaires ou mondains (celui de Sainte-Clotilde, à Paris) auraient, comme les théatins ou les carmes d’autrefois, « le droit de réclamer[1] ». Toutefois, la grande inspiration profonde, c’est celle du Gésu.

Depuis un quart de siècle, par une lente infiltration, les Pères se sont emparés de l’éducation des classes riches, aisées. Ils ont préparé des générations pour les grandes écoles (navale, militaires) : leurs élèves, ayant depuis peu l’âge d’homme, sont partout, dans les professions libérales, avocats et médecins, à la tête de la grande industrie, du grand commerce. L’Université, quand elle a formé ses bacheliers, ne les connaît plus. Eux, jamais ne lâchent les élèves dont ils ont façonné le cerveau, pétri le cœur ; ils les suivent dans la vie, les poussent, les marient. Dans toutes les carrières, même administratives, surtout dans l’armée, être recommandé (secrètement), soutenu par les Pères, c’est un avantage sans prix. Et ce qui échappe à l’éducation,

  1. C’est ce que dit Michelet (Histoire de France. X, 110).