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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


puis Juvénal[1], c’est un thème à déclamation classique.

Cet étranglement du procès fut délibéré en Conseil des ministres, sous la présidence de Faure. La vague procédure, dont on s’était avisé, permet de soustraire au jury toutes les autres accusations de Zola, les plus fortes, contre Mercier, Billot, Boisdeffre, Gonse, Du Paty, Pellieux, Ravary, les bureaux de la Guerre et les experts[2]. Dès lors, quoi qu’il advienne, la Revision ne pourra pas sortir de l’instance. Le nom de Dreyfus n’y sera pas prononcé. Seul, Esterhazy sera sur la sellette.

L’assignation fut lancée le surlendemain (20 janvier). Mais, dès que les ministres eurent pris leur décision, le 18, Esterhazy en fut informé.

Il était déjà, ce jour-là, de fort méchante humeur, Pellieux, comme on l’a vu, avait publiquement confirmé à Esterhazy que les experts contestaient l’authenticité de la lettre « du Uhlan ». Mme de Boulancy avait aussitôt écrit à Pellieux : « Vous dites que cette lettre est fausse et vous ne nommez pas le faussaire[3] ! » Et, comme le général ne lui avait pas répondu, la laissant ainsi exposée à d’outrageants soupçons, elle venait de déposer, entre les mains du procureur de la République, une plainte contre le faussaire inconnu[4]. Esterhazy s’inquiétait fort de cette affaire. Maintenant, Billot le livrait à Zola, aux « dreyfusards », à leurs témoins !

Il avait d’autant plus sujet d’être effrayé qu’un journaliste anglais, Rowland Strong[5], l’avait mis en rap-

  1. Satire XVI, Militiæ Commoda.
  2. Rennes, I, 174. Billot : « J’ai pensé que nous avions l’âme assez haute et que nous étions trop supérieurs à de si basses injures pour nous y arrêter. »
  3. Lettre du 13 janvier 1898.
  4. 17 janvier 1898.
  5. Cass., I, 599, Esterhazy ; 741, Strong ; 785, femme Gérard.