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LA DÉCLARATION DE BULOW

Mme Dreyfus répliqua aussitôt[1] que Forzinetti, d’autres encore[2], tenaient de Lebrun-Renaud lui-même que son mari ne lui avait point fait d’aveu. » Ces témoins auront le courage de parler, d’affirmer la vérité. » Elle évoquait, ensuite, ces autres témoins, muets, mais éloquents entre tous, les lettres du condamné :

Demandez au Ministre des Colonies de vous montrer les lettres dont il ne m’envoie plus que des copies, me privant ainsi de la vue même de cette chère écriture.

Lisez ces lettres, Monsieur, vous n’y trouverez, dans l’affreuse agonie de ce supplice immérité, qu’un long cri de protestation, qu’une longue affirmation d’innocence, un invincible amour pour la France.

Vivant ou mort, mon infortuné mari, je vous le jure, sera réhabilité. Ni moi, ni mes amis, ni tous ces hommes que je connais seulement de nom, mais qui ont, eux aussi, le souci de la justice, ne désarmeront jusque-là.

Quand on manquait de preuves contre Dreyfus, rien de plus simple : on en forgeait. C’est ce que Boisdeffre appelait : « nourrir le dossier ».

Comme Mme Dreyfus avait révélé la visite de Du Paty à son mari, et comme il était à croire que Du Paty, s’il était interrogé par son cousin Cavaignac, en conviendrait, il n’y avait plus moyen de s’en taire. Et, comme il vaut toujours mieux aller au-devant du danger que l’attendre, Gonse lui-même invita Du Paty à rédiger,

  1. 16 janvier 1898.
  2. Notamment Clisson, l’auteur de l’article du Figaro. Questionné par un journaliste, il refit textuellement son récit : « Alors Dreyfus n’a pas fait d’aveux au capitaine Lebrun-Renaud ? — Je n’en sais rien : c’est possible, puisque des journaux bien informés le déclarent et que M. Cavaignac l’affirme, mais, certainement, il n’en a pas parlé devant moi. » (Siècle du 16 janvier.)