Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’origine française était dix fois plus nombreuse[1]. — Pour les griefs économiques, tant imaginaires que réels, c’étaient les accusations séculaires, les mêmes qui se produisent partout où chrétiens et juifs sont en présence. Beaucoup de juifs algériens pratiquaient l’usure, mais à un taux qui n’était pas supérieur au taux ordinaire des usuriers chrétiens, et qui était inférieur à celui des usuriers kabyles. On leur reprochait de rester, dans la nation, une classe fermée, de ne pas se mêler à la vie commune[2]. Mais, quand ils voulaient s’y mêler, on les repoussait. Les Arabes méprisaient leurs cousins sémites, mais pas beaucoup plus que les chiens chrétiens. Les étrangers, non naturalisés, très nombreux, Espagnols, Maltais, Italiens surtout, les détestaient. La pâte dont est fait l’antisémitisme est toujours la même ; le levain seul fut plus violent sur cette terre brûlante d’Afrique.

Les troubles commencèrent à Alger, le 18 janvier. Des étudiants s’apprêtaient à brûler Zola en effigie ; la police intervint[3] ; les jeunes patriotes parcoururent les rues en poussant des cris et, tout de suite, une foule se joignit à eux, où dominaient les étrangers et les indigènes, pour acclamer l’armée, mais aussi pour se ruer sur les magasins et les bazars des juifs. Ces désordres se répétèrent quatre jours de suite. La gendarmerie à cheval laissait faire[4]. Les manifestants s’écartaient sur son passage, l’applaudissaient et se reformaient der-

  1. Population française d’origine : 318.187 ; population française juive : 50.703 (Chambre des Députés, séance du 19 février 1898, discours de Bourlier, député d’Alger.)
  2. Chambre des Députés, séance du 19 février 1898, discours de Jaurès.
  3. Chambre des Députés, séance du 19 février 1898, discours de Paul Samary ; Télégramme algérien du 26 janvier, article de Charles Marchal, vice-président du Conseil général.
  4. Temps du 19 février 1898.