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LA CRISE MORALE


ameutée faisait publiquement l’appel des traîtres et des flétris, il se trouva jusqu’à trois mille citoyens pour répondre : « Présents[1]. »

Toutes ces convictions jusqu’alors captives, qui s’étaient formées en silence depuis trois mois, mais non sans souffrance, l’acte de Zola les a délivrées. Elles se fussent fait honte désormais, si elles étaient restées cachées, si elles n’avaient pas réclamé leur part d’opprobre.

Rien ne les y obligeait hier. Aujourd’hui, le courage de Zola, s’offrant aux coups, eût transformé leur sympathie muette en lâcheté. La joie fut de crier sa pensée, de l’avoir criée.

Dans cette histoire de la conquête de la justice, il faudrait pour être juste dire tous ces noms, illustres ou inconnus, ou n’en dire aucun. Citons seulement quelques-uns des premiers inscrits : le grand chimiste Grimaux, Anatole France, le vieux Frédéric Passy, à demi-aveugle, l’apôtre de la paix ; des artistes, Gallé, Claude Monet, Clairin, Roll, Carrière ; quelques poètes : Ratisbonne, Bouchor, Barbier ; des philosophes : Séailles. Desjardins ; des médecins, Hervé, Delbet, Reclus, Richet ; surtout des membres du haut enseignement, des savants, Charles Friedel, Havet, Darlu, Bréal, Gaston Bonnier, Charles Lauth, Alexandre Bertrand, Émile Bourgeois, Pécaut, Lucien Herr, Stapfer, le fils et le gendre de Renan[2].

On évoquait les grands disparus. Qui eût combattu pour la justice ? Hugo, certainement[3] et Renan. Pour

  1. Livre d’hommage des lettres françaises à Zola, 33 à 61.
  2. « La liste des intellectuels est faite d’une majorité de nigauds. » (Barrès, dans le Journal du 1er février 1898.)
  3. « Si Hugo était là ! » disait Mme Lockroy qui avait été sa belle-fille. (Ajalbert, dans les Droits de l’homme du 3 février.)