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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


peuple, à la longue, ressentira quelque orgueil, une légitime fierté que les défenseurs de Dreyfus lui aient fait appel, lui aient remis le jugement dans cette grande cause.

Sans doute, dans ce pays déshabitué, depuis plus d’un quart de siècle, des révolutions, qui en était lassé pour en avoir trop fait, et qui s’était cramponné à la République pour en éviter de nouvelles, l’acte de Zola va effrayer les classes moyennes et les paysans, augmenter leurs colères, les rejeter plus vivement vers l’armée, gardienne de l’ordre matériel. D’autre part, il remuera le prolétariat des villes, la jeunesse des Écoles.

Il ne les gagnera pas, du soir au matin, à la Revision ; mais il parlera à leur imagination, les préparera à la venue de la Justice.

Les passions, selon Duclaux, si Zola ne les avait point fouettées d’un tel coup, auraient coulé au fond. Apparemment. Mais quelles passions ? Les pires auraient-elles coulé ? Elles étaient triomphantes. L’armée, peut-être, eût repris son paisible sillon. Mais l’Église ? mais les Congrégations ?

Ce silence soudain, après ce grand effort, eût paru un aveu de découragement, d’impuissance, et, pire encore, l’aveu d’un doute : « Après tout, Dreyfus est coupable. »

La constitution de Renan : Un aréopage, une académie d’hommes très instruits, très équitables, absolument désintéressés, sauf du bien public, pour donner à un pays des lois et pour les appliquer, n’est qu’un rêve. Chacune des grandes étapes de l’humanité, avant de la franchir, il a fallu cent batailles. Le monde lui-même, d’où est-il sorti ? De révolutions successives.

Étrange révolutionnaire, en tous cas, et d’une espèce nouvelle, que cet homme jusqu’alors si éloigné de la