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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


posait des questions bizarres ; jamais on ne l’avait regardé comme un vrai Français[1].

Ces révélations irritèrent Esterhazy ; il se vanta d’avoir écrit à chacun des officiers du régiment : « Quelqu’un a dit quelque chose. Ce quelqu’un est un drôle. Est-ce vous[2] ? » Mais les officiers ne reçurent que la consigne ministérielle de se taire. Le colonel les réunit pour la leur communiquer.

Enfin, le Figaro[3] osa publier le fac-similé du bordereau, ceux des écritures de Dreyfus et d’Esterhazy. Et cette seule preuve eût dû suffire, si elle avait été mise sous tous les yeux. Chacun eût dû faire, et sans peine, une comparaison décisive. Mais les journaux de l’État-Major se gardèrent de risquer l’expérience ; bien mieux, et plus effrontés qu’Esterhazy lui-même, ils jurèrent que son écriture n’offrait qu’une lointaine ressemblance avec celle du bordereau[4]. Au surplus, Dreyfus a décalqué l’écriture d’Esterhazy. Assertions contradictoires : on peut choisir.

Ainsi Scheurer avait tiré le pays d’un calme profond pour reprocher aux chefs de l’armée la plus tragique des erreurs. Mais il n’avait pas su parler à son imagination et se contentait de lui demander une chose aussi impossible que sensée : attendre que la justice, seule compétente, se fût prononcée.

Quoi ! pour une pareille accusation qui a remué chaque homme et tout le pays jusqu’aux entrailles, attendre comme pour un procès quelconque, pour une affaire de mur mitoyen !

L’émotion, le trouble, la colère étaient partout,

  1. Figaro des 17, 18, 20 et 21 novembre 1897.
  2. Jour du 20.
  3. 30 novembre.
  4. Libre Parole du 18, Jour du 20, Éclair, Écho, Croix, etc.