Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
LA CRISE MORALE

Les autres ministres furent de l’avis de Méline et, d’abord, Billot[1] qui avait d’autres motifs encore de redouter l’éclat et les révélations d’un procès.

C’était également l’avis d’Esterhazy. La lettre de Zola le bouleversa. D’abord, devant cette nouvelle tourmente, il revint à son vieux projet « d’aller vers d’autres cieux ». Il se raccrocha ensuite à l’espoir que le Gouvernement ne relèverait pas le gant. « Dans quelques jours, dit-il à Marguerite Pays et à Christian, on n’y pensera plus[2]. »

Cependant, il n’échappa point aux ministres qu’il serait difficile de ne pas commettre cette faute. Une telle reculade devant un tel défi, comment l’expliquer à l’armée, à la foule des non-initiés, surtout aux patriotes de profession ? Ceux-ci étaient déjà en mouvement, clamant que l’armée était insultée et qu’un tel forfait criait vengeance. Quiconque osa risquer de timides objections, on le regarda de travers.

Nécessairement, les premiers contaminés par la nouvelle épidémie, ce furent les députés. Bien avant l’heure de la séance, ils s’agitaient dans les couloirs, levaient de grands bras[3] ; les radicaux surtout[4] étaient très échauffés ; ils entrevoyaient une occasion de renverser le cabinet. Mais ils discouraient encore quand les catholiques agirent.

De Mun, allant droit à un officier d’ordonnance de Billot qui était venu aux nouvelles, l’envoya dire à son ministre qu’il allait l’interpeller.

  1. Rennes. I, 174, Billot.
  2. Mémoire de Christian, 74, 75.
  3. « Les esprits étaient arrivés à un tel degré de surexcitation que les propos les plus incohérents et les raisonnements les plus odieux et les plus ridicules à la fois ont pu être tenus. » (Petite République du 14 janvier 1898.)
  4. Pelletan. Chapuis, Dujardin-Beaumetz, Chenavaz, Berteaux, Alexandre Bérard, Goblet, Mesureur, Ricard, Montaut, Sarrien, Bazille, etc.