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LA CRISE MORALE

J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre, peut-être, par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la Guerre l’arche sainte inattaquable.

J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.

J’accuse les trois experts en écriture, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.

J’accuse les bureaux de la Guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Éclair et dans l’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.

J’accuse, enfin, le premier conseil de guerre d’avoir violé le Droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil d’avoir couvert cette illégalité par ordre en commettant, à son tour, le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable…

Et, très calme dans son exaltation, ayant fait son choix « entre les coupables qui ne veulent pas que justice soit faite et les justiciers qui donnent leur vie pour qu’elle soit faite », il terminait par ces deux mots : « J’attends. »

Ayant écrit son réquisitoire dans la forme d’une « Lettre à Félix Faure », Zola ne lui avait pas donné d’autre titre. Ce fut Clemenceau qui l’intitula : « J’accuse… »