Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
225
LA CRISE MORALE


après la découverte de « l’imbécile » bordereau ; l’enquête de Du Paty : « Elle a été faite comme dans une chronique du quinzième siècle, au milieu de mystères, avec une complication d’expédients farouches…… » ; l’exploitation systématique de la sottise et de la peur par les antisémites : « Un traître aurait ouvert la frontière à l’ennemi, pour conduire l’Empereur allemand à Notre-Dame, qu’on ne prendrait pas des mesures de silence et de mystère plus étroites. La nation est frappée de stupeur ; on chuchote des faits terribles … On ferme les bouches en troublant les cœurs. » Et, de même, ses discussions sont solides : celle des pièces secrètes : « Une pièce qu’on ne saurait produire sans que la guerre fût déclarée demain, non, non ! c’est un mensonge !… » ; celle de l’acte d’accusation :

Qu’un homme ait pu être condamné sur cet acte, c’est un prodige d’iniquité. Je défie les honnêtes gens de le lire sans que leur cœur bondisse d’indignation et crie leur révolte. Dreyfus sait plusieurs langues : crime ; on n’a trouvé chez lui aucun papier compromettant : crime ; il va, parfois, dans son pays d’origine : crime ; il est laborieux, il a le souci de tout savoir : crime ; il ne se trouble pas : crime ; il se trouble : crime…

Par contre, et précisément parce qu’il a commencé par très bien voir Du Paty, « l’esprit le plus fumeux, le plus compliqué, se complaisant aux moyens des romans-feuilletons », aussitôt il ne voit que lui et s’acharne contre lui seul ; il n’a pas besoin d’autre explication : « Un homme néfaste a tout mené, tout fait… C’est lui qui a inventé Dreyfus. » Cela est matériellement inexact et le procédé romantique apparaît ici en plein.

D’Henry, pas un mot ; sauf Gonse, « dont la conscience a pu s’accommoder de bien des choses », il réduit les


15