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LA CRISE MORALE

III

C’était une lettre au Président de la République. Félix Faure avait reçu, un jour, Zola avec bienveillance. Zola l’avait défendu contre Drumont, quand la Libre Parole déterra le crime du notaire Belluot. Il le lui rappela d’un mot, qui eût touché une âme noble, et tout de suite entra en matière :

Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les cœurs ; vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose de cette fête patriotique que l’alliance russe a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre Exposition universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté.

Mais quelle tache de boue sur votre nom, — j’allais dire sur votre règne — que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre, vient, par ordre, d’oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c’est fini ! La France a, sur la joue, cette souillure, l’Histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime social a pu être commis !

Voilà le ton, dès la première page, et ce sera le même jusqu’au bout, non pas celui de l’historien ou du philosophe qui eût cherché à montrer ou à démontrer, mais celui du satiriste, gonflé d’ironie, ou du lyrique, gonflé d’images, qui éclate comme un volcan, sous la pression intérieure, et se décharge de l’incendie qui le consume :

Je ne veux pas être complice ; mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis.