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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Autre argument : les secrets de la défense nationale ne sauraient être livrés en pâture à la curiosité publique.

Je fis observer à Billot, dans une lettre ouverte, que le huis clos n’empêcherait pas ces secrets d’être connus de l’accusé, de l’homme qui avait écrit : « Je voudrais être tué comme capitaine de Uhlans en sabrant des Français[1] ! »

La clameur fut telle que Billot parut ébranlé. Mais Boisdeffre et Esterhazy veillaient. Si le huis clos n’est pas prononcé, toute l’œuvre si péniblement échafaudée s’écroule. Sur quoi, Billot proposa, à son ordinaire, une transaction : Esterhazy et les témoins civils, moins Leblois, seront entendus en audience publique ; Leblois et les témoins militaires (Picquart, Gonse, Henry) à huis clos. Boisdeffre accepta cette transaction, mais Esterhazy déclara aussitôt « qu’il fallait englober les experts dans le huis clos ». Boisdeffre et Gonse, qui trouvaient le rapport de Belhomme très probant, commencèrent par rejeter cette nouvelle exigence. Esterhazy se fâcha et, encore une fois, eut gain de cause. Du Paty lui écrivit : « Convenu ; les experts seront entendus à huis clos. » Les révélations de Cuers gênaient également Esterhazy ; Du Paty le rassura : « Pour l’en-

    faveur d’une autre puissance. Il se peut que le gouvernement français ait intérêt à jeter là-dessus un voile épais. Du côté de l’Allemagne, il n’y a absolument rien qui empêche de jeter sur les débats la lumière la plus vive de la publicité. »

  1. « Vous avez promis au Sénat de verser tout le dossier Dreyfus au conseil de guerre. Dès lors, ces pièces secrètes si graves, si redoutables que vous n’avez pas voulu les montrer aux patriotes les plus éprouvés, elles seront connues du commandant Esterhazy… Tous les autres secrets dont la divulgation, dit-on, compromettrait les intérêts de la défense nationale, seront connus du commandant Esterhazy… Mais la France ne connaîtra pas les dépositions décisives, et un cauchemar douloureux continuera à peser sur la conscience de ce noble pays. » (7 janvier 1898.)