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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ment[1] était exact, ils ne doutèrent pas de l’acquittement d’Esterhazy.

Nul, d’ailleurs, n’en doutait plus ; et les uns, déjà, triomphaient, pendant que les autres se préparaient à de nouveaux combats[2].

Méline et ses principaux collègues se payaient de l’illusion que l’acquittement d’Esterhazy serait la fin de l’agitation qui troublait, depuis deux mois, la sécurité de leur règne. Au contraire, l’ardeur des partisans de la Revision redoubla. Pour beaucoup, c’était la première fois qu’ils assistaient à la préparation systématique d’une iniquité ; ils en ressentirent une cruelle et salutaire douleur ; d’autant plus ils s’enthousiasmèrent de justice.

Leurs aînés avaient connu d’autres défaites, d’autres revanches du droit. Scheurer parla en leur nom :

Ce qui me reste de force et de vie, je l’ai mis au service de l’innocence opprimée ; ce don de moi-même n’est pas

  1. Je le tenais de Mathieu Dreyfus, qui le savait du greffier Vallecalle.
  2. De Scheurer : « Quel soufflet appliqué sur la joue de la France par les Jésuites ! C’est cela qui me fait souffrir ! » (31 décembre.) « Je ne me sens ni découragé ni en détresse. J’ai eu un moment de désespoir après avoir reçu votre lettre sur le résultat de l’expertise. J’ai vivement ressenti la responsabilité que j’ai encourue à l’endroit du martyr de l’île du Diable et j’ai fait l’examen de ma conduite depuis le commencement de la lutte. Le lendemain, j’avais repris ma sérénité et ma confiance dans la justice immanente. Ne m’avez-vous pas rappelé récemment que l’affaire Calas a duré trois années ? Je sais bien que le mort pouvait attendre… Je me résigne, sans peine, à tout ce qu’une défaite pareille peut me réserver et réserver à ceux qui m’ont accompagné. Mais rien ne me fera renoncer, mon cher ami, à l’œuvre commencée ; j’y ai mis toute ma réflexion et tout mon cœur… Seulement il faut savoir attendre ; c’est ce qu’il y a de plus difficile pour nous autres Français. » (Du 3 janvier 1898.)