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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY

Il est vraisemblable que le petit bleu est un document frauduleux. « Le comte Esterhazy proteste de toutes ses forces contre les procédés inqualifiables employés par Picquart qui, sans mandat aucun, s’est livré à des investigations odieuses sur sa vie privée, a jeté les soupçons sur son honorabilité et commis des illégalités monstrueuses, en violant sa correspondance, allant jusqu’à faire perquisitionner dans son appartement pendant son absence. » — On croirait lire l’historique de l’enquête Pellieux, dont Ravary célèbre « la remarquable impartialité ». — Enfin, Picquart « pourrait bien avoir été l’âme de la campagne scandaleuse qui vient de se produire et dans laquelle il aurait eu l’habileté de se dissimuler et de laisser les autres porter les premiers coups ». Ravary « n’a point la mission de faire le procès de Picquart ; mais il appartiendra à l’autorité militaire d’examiner et d’apprécier ses actes et de leur donner la suite qu’il appartiendra[1] ».

Le commandant Hervieu, comme Ravary, concluait au non-lieu.

Mais Saussier, qui tenait dans la comédie le rôle du chef loyal et sévère, repoussa les conclusions du juge instructeur[2]. Il motiva, avec beaucoup

  1. Ravary communiqua son rapport à Bertulus qui lui dit : « Tant que vous n’aurez pas établi que le petit bleu est un faux, et que ce faux est l’œuvre de Picquart, rien ne tient. » (Cass., I, 220.)
  2. Au procès Zola (I, 267), Pellieux dit que Saussier refusa de rendre l’ordonnance de non-lieu, « malgré l’opinion de beaucoup d’autorités supérieures à la sienne », que Saussier voulut que l’affaire allât jusqu’au bout et qu’Esterhazy fût jugé par ses pairs, etc. Pellieux convient, d’ailleurs, qu’Esterhazy ne se présenta pas devant le conseil « comme un accusé ». Billot (Cass., I, 13) affirme qu’il laissa Saussier entièrement libre de sa décision. À Rennes (I, 174), il raconte que « les ministres, réunis autour du chef de l’État, le 1er janvier, inclinaient à accepter le non-lieu », mais « qu’il conféra avec Saus-