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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY


mais officiellement et fermement », — pour satisfaire l’opinion, et dans l’intérêt de son client, qui doit sortir blanchi de l’épreuve. — que l’écriture d’Esterhazy fût expertisée avec celle de Dreyfus[1].

La lettre de Tézenas était partie quand Esterhazy arriva chez l’avocat qui lui conta l’incident. Esterhazy fit la grimace, mais n’objecta rien et courut au Cherche-Midi. Il y entrait comme chez lui, en maître, les portes s’ouvrant devant lui, salué très bas, entouré de l’estime de tous les officiers et commis. Il trouva Ravary dans son antre enfumé, avec le commissaire du gouvernement (Hervieu), le greffier Vallecalle et le vieux Belhomme, tous très agités.

Ravary, brusquement, interpella le fol qui voulait se perdre : « Qu’est-ce qui prend à votre avocat ? Voici ce qu’il m’écrit. (Il montrait la lettre.) Je ne le suivrai pas sur ce terrain. « Vous pouvez l’en avertir. Je refuse de faire droit à sa demande, »

Esterhazy prétend que cette colère de Ravary l’amusa beaucoup. Comme il voyait Ravary résolu à repousser la comparaison entre l’écriture de Dreyfus et la sienne, il joua, à bon compte, l’homme qui ne craint rien. Ces fantaisies lui étaient familières : « Je ne crois pas, dit-il à Ravary, que vous puissiez refuser ce que vous demande Tézenas. » Ravary répliqua que c’était son droit ; en tous cas, qu’il le prenait ; et il fit appel au commandant Hervieu qui approuva. Belhomme, se levant, protesta « formellement et solennellement » : « Si la défense persévère dans sa demande, je refuse de me prêter à une pareille manœuvre et je me récuse[2].

Esterhazy, dans ces moments, et avec raison, se sentait moralement supérieur à ses protecteurs.

  1. 14 décembre 1897. (Pièce n° 2.)
  2. Dép. à Londres, 1er mars 1900.