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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Esterhazy, « le chapeau enfoncé sur les yeux, le pardessus relevé », fit irruption au bureau, bouscula le tenancier de l’agence : « Je suis le commandant Esterhazy ; on me jette à la tête un tas de sales histoires ; on m’accuse d’avoir fait partir de Lyon une lettre de menaces ; vous savez bien que ce n’est pas moi[1]. » Quand Ravary la lui présenta, il dit, effrontément, qu’il la voyait pour la première fois[2]. On fit disparaître l’employé qui en avait pris une copie pour la préfecture de Police.

Pour infirmer l’authenticité de la principale de ses lettres à Mme de Boulancy, il dit qu’il a l’habitude d’orthographier le mot Uhlan avec l’h devant l’u, « à la hongroise », ce qui n’a aucun sens, le mot étant d’origine turque, de Oghlan, « jeune garçon, page, cavalier[3] ». Mathieu requiert la saisie, chez un avoués d’une lettre d’Esterhazy où se trouve cette phrase : « Ces canailles (des créanciers) auraient besoin du bois de la lance d’un uhlan prussien pour savoir comment l’on traite des soldats. » Il nie toujours[4].

Mathieu verse au dossier la lettre d’Esterhazy à Weil, de juin 1894 : « Je ne puis soustraire mes pauvres petites filles à la destinée qui les attend que par un crime[5]. » Ravary trouve la lettre très belle : « Comme cet homme aime ses enfants ! » Il refuse longtemps de faire citer Weil, malgré l’insistance de Picquart[6]. Quand il l’appelle, il l’interroge sommairement. Weil raconte

  1. Procès Esterhazy, 164, Ferret-Pochon.
  2. Instr. Ravary, 21 décembre, Esterhazy.
  3. Louis Léger, Mém. de la Société de linguistique, V, 41. — Littré, à tort, fait venir Uhlan de ula, lance « en polonais ». Lance, en polonais, c’est lança ou kopja.
  4. Procès Esterhazy, 143, Mathieu Dreyfus.
  5. Ibid., 145, Mathieu Dreyfus. — La lettre lui avait été remise par le grand rabbin (Cass., I, 310, Zadoc-Kahn).
  6. Procès Zola, I, 296, Picquart.