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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY


se gaussèrent du vieil amuseur public ; les amis de l’État-major n’étaient pas encore au point. Aux uns et aux autres, il parut invraisemblable que cette stupéfiante histoire fut le « coup de massue » tant de fois annoncé. Cependant, depuis un mois, elle courait les salons, les brasseries, les bureaux de rédaction ; bien mieux, une photographie de la lettre impériale circulait dans les cercles privilégiés ; le colonel Stoffel l’avait vue de ses propres yeux. D’autre part, Boisdeffre avait recommandé de ne pas exposer cette pièce délicate au grand jour, et Méline, Hanotaux, se fâchèrent.

Mais Rochefort qui, par hasard, était de bonne foi, s’obstina malgré les démentis ministériels et la menace nette d’une poursuite[1]. Il expliqua que Munster avait exigé de Casimir-Perier qu’aucune allusion ne fût jamais faite aux redoutables pièces. Et ce fut aussi l’explication d’Henry, qui fit ainsi coup double[2]. Il authentiquait l’absurde roman et coupait court aux polémiques, couvrait la retraite, après cette escarmouche prématurée.

Les faussaires, pour rompre les chiens, racontèrent que Leblois se réservait de produire devant le conseil de guerre un reçu donné par Esterhazy à l’ambassade d’Allemagne[3].

Peu à peu, l’idée de la faillibilité des juges, de la possibilité d’une erreur, entra dans les cerveaux. Ils rapprenaient à lire, comme ce membre de l’Institut, ce charmant Paul de Rémusat, qui, frappé d’amnésie, se remit, vers la soixantaine, à l’alphabet.

  1. 12 et 14 décembre 1897.
  2. Écho de Paris des 18 et 20, Éclair, etc.
  3. Libre Parole, Écho de Paris. Patrie, du 1er janvier 1898. — Leblois se rendit aussitôt au gouvernement de Paris et au ministère de la Guerre pour déclarer qu’il n’avait jamais eu de pareille pièce entre les mains. (Instr. Fabre, 202.)