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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY

La stupeur et l’indignation, d’une part, la colère, de l’autre, furent égales. L’absurdité, le néant de l’accusation opérèrent, en quelques heures, plus de conversions que tous les discours.

Drumont réclama des poursuites contre l’auteur de cette divulgation. Méline trouva moins dangereux, pour une fois, de lui désobéir que de me poursuivre.

Scheurer eut une longue conversation avec l’ambassadeur d’Italie, qui lui certifia que les pièces secrètes, où Panizzardi était mis en cause, étaient des faux. Nulle information plus précieuse, puisque, d’avance, elle signalait les pièges, les embûches[1].

Demange ne se lassait pas de répéter qu’il avait connu seulement le bordereau[2]. L’État-Major, après avoir révélé la communication des pièces secrètes, n’osait plus la démentir ; que fût-il resté de l’énorme accusation ? On commença à se poser la question égoïste, salutaire : « Si une pareille violation de la loi et des droits humains est tolérée, qui assure qu’elle ne sera pas renouvelée demain contre moi ? » Quelques-uns aperçurent enfin que le droit du juste, de l’innocent, d’un seul homme, est plus haut que les intérêts de toute une caste, de l’État ; il est le droit universel, le Droit même.

Et d’autres se lassèrent, s’indignèrent que les plus nobles idées de patrie, de défense nationale, d’honneur, « que les mots les plus grands et les plus saints qui soient dans le langage des hommes[3] » fussent profanés pour couvrir des habiletés de procédure, émouvoir et tromper les masses populaires.

Au fond de toute l’affaire, (en dehors du crime d’Esterhazy et du crime d’Henry), il y a la grande faiblesse

  1. Rennes, III, 420, Trarieux.
  2. Lettre à Cassagnac. (Autorité du 1er décembre 1897, etc.)
  3. Procès Zola, I, 394, Jaurès.
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