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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX

XVIII

À la flétrissure dont nous avait honorés la Chambre et qui n’avait pas été infirmée par le Sénat, la presse ajouta ses injures ordinaires. Mais nous ne les lisions même plus et, désormais, je m’en tairai, moins par dégoût que par ennui. Je ne raconterai plus que le drame ; j’en supprime le monotone accompagnement. Dès lors, le lecteur de cette histoire verra seulement les faits, avec tout le détail qui les rend vivants, alors qu’à l’époque où ils s’accomplirent, la grande masse du peuple prêtait l’oreille surtout à l’horrible musique et s’en grisait. De jour en jour, ce concert devint plus bruyant, chacun chercha à tirer de son instrument le son le plus affreux, et chacun y réussit à son heure : Drumont, Judet, les Assomptionnistes de la Croix, Alphonse Humbert, Rochefort et Cassagnac, qui valait mieux que ses émules, puisqu’il s’était d’abord écarté d’eux et qu’il continua à mêler des paroles de bon sens à ses plus grossières invectives[1]. Cette mélopée ininterrompue de l’outrage, elle est au fond de cette histoire, comme le bruit de la vague dans les coquillages. Ne cessez pas un moment de l’entendre. Bien plus, si vous voulez juger ce peuple avec équité, d’abord, il vous faut oublier tous les faits aujourd’hui acquis, incontestés, dont les moindres vous eussent paru alors, à vous-même, d’invraisemblables calomnies ; surtout, il vous faut les remplacer

  1. À la suite de la publication des lettres de Mme de Boulancy, il mena une violente campagne contre le Figaro, « feuille prostituée, journal des traîtres, sentine de la préfecture ».