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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


juifs l’ont acheté, ainsi que Scheurer. Il n’attend pas qu’on lui objecte l’écriture du bordereau, mais explique en ricanant pourquoi elle offre une ressemblance « effrayante[1] » avec la sienne : Dreyfus la décalquée. Il ne se défend pas de connaître Schwarzkoppen ; ses parents d’Autriche sont liés avec l’officier allemand ; il est allé chez lui ouvertement, plusieurs fois, en uniforme, à la prière de son colonel. Il n’est question au bordereau que de documents relatifs à l’artillerie, à l’État-Major. Or, il est fantassin, il n’a été employé au ministère de la Guerre que pendant huit jours ; en 1894, il n’est pas allé aux manœuvres. Qu’il ait perdu sa fortune au jeu et s’il vit en marge de la société, cela ne regarde personne.

Son « ami » Drumont l’avait prévenu du complot qui se tramait contre lui ; une dame voilée, en de mystérieux rendez-vous, à la tombée de la nuit, dans des endroits écartés, lui en a confié les moindres détails ; il en a averti Félix Faure. Il ne tient pas à la vie, mais à un héritage de gloire qu’il saura défendre. Ses aïeux ignoraient la peur ; il ne craint rien. Il fera éclater son innocence, dût-il mettre le feu aux quatre coins de Paris. Aucune force humaine ne l’arrêtera. Il méprise ses diffamateurs ; il sommera l’Empereur d’Allemagne de leur jeter sa parole au visage comme un gant ; il les « emmerde[2] ».

Les observateurs clairvoyants étaient stupéfiés ; pas

  1. Écho de Paris du 17 novembre 1897 ; Libre Parole, etc. Il tint le même propos à Papillaud qui le rapporta à Jaurès. (Procès Zola. I, 391.)
  2. Propos d’Esterhazy à l’Agence nationale, au Jour, au Matin, à l’Écho de Paris, au Figaro, au Temps 17, 18 et 19 novembre). Il alla tous les soirs, pendant une semaine, au Figaro, y lisait (en épreuves) les articles où il était malmené, plaisantait, recommençait ses tirades.