Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
L’ENQUÊTE DE PELLIEUX

Picquart commit cette erreur. Leblois, pendant une longue séance chez Scheurer, résista à tous nos efforts : le nom de Picquart ne doit même pas être prononcé. Scheurer s’irrita : « Si Picquart a eu tort de vous confier ses lettres, que sa faute, du moins, soit utile. » Je plaidai à mon tour : « C’est folie d’aller à la bataille en laissant ses meilleures armes au râtelier. Les y laisser, ce n’est pas sauver Picquart, c’est le perdre. » Clemenceau avait, lui aussi, objurgué Leblois. Rien n’y fit.

Scheurer avait cru tenir la victoire ; elle lui échappait. Il pensa à retirer son interpellation. Ce qu’il fallait au Sénat, c’était des clartés, et non pas seulement de nouveaux doutes ; mieux valait se taire qu’aller à un échec certain. On l’insultera ; il y est accoutumé. Il réfléchit ensuite que la défense qui lui avait été signifiée par Leblois de la part de Picquart l’obligeait à taire jusqu’aux motifs de son silence. Il aurait l’air de reculer et, quelque prétexte qu’il invoquât, d’avoir été ébranlé dans sa conviction. La sainte cause qu’il avait faite sienne en souffrirait. Donc, il marchera quand même. Il avait l’esprit scientifique ; il exposait les faits avec beaucoup de méthode ; l’art du développement oratoire lui était inconnu. Il me dit tristement : « Il faudrait Gambetta. »

Son discours était attendu comme un événement. Des étrangers (Belges, Suisses, Anglais) avaient fait le voyage pour l’entendre ; les galeries regorgeaient ; la moitié de la Chambre se transporta au Palais du Luxembourg. La désillusion sera d’autant plus rude. Il sauva, à force de loyauté, tout ce qui pouvait être sauvé[1].

Il rectifia d’abord les assertions inexactes de Billot et de Méline à son égard, raconta comment il les avait suppliés de procéder eux-mêmes à la revision. Il a été

  1. Séance du 7 décembre 1897.