Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lettre à Billot, Gonse en communiqua le texte à Du Paty ; il lui demanda « s’il n’y avait eu, de sa part, aucune démarche qui pût justifier les affirmations de certains journaux au sujet de ses relations avec Esterhazy[1] : « Vous avez vu Esterhazy au commencement ; mais vous ne le voyez plus, n’est-ce pas ? » Du Paty répondit négativement[2].

Les ministres tombèrent au grossier piège ; nul ne dit que les journaux regorgeaient de pareilles sottises, qu’amis et adversaires ne se donnaient pas la peine de les relever, que celle-ci venait d’un des gazetiers ordinaires de L’État-Major et que c’était le complice, ou la dupe, du faussaire Norton, Mais Boisdeffre est le favori de l’opinion. N’est-il pas homme à faire un éclat si le Conseil lui refuse cette satisfaction qu’il réclame ? Billot lui-même communiqua le démenti à l’Agence Havas.

À la Chambre, quand les députés arrivèrent, ils virent les deux nouvelles affichées dans les couloirs : l’ordre d’informer contre Esterhazy, le démenti de Boisdeffre. Puis, dès l’ouverture de la séance, Brisson annonça qu’il était saisi de deux demandes d’interpellation au sujet de l’affaire Dreyfus, l’une du comte de Mun, l’autre de Marcel Sembat, député socialiste de Paris. En outre,

  1. Cass., II, 199, (Enq. Renouard), observation de Gonse, du 10 septembre 1898 (écrites et signées), en réponse au premier interrogatoire de Du Paty.
  2. Cass., II. 32, Du Paty ; 199, Gonse : « Il me répondit négativement et la lettre (de Boisdeffre à Billot) fut envoyée. » — Boisdeffre dit que Gonse ne lui a raconté l’incident que plus tard (Cass., I, 559). — À Rennes (II, 162), Gonse place sa conversation avec Du Paty « à 11 heures du matin, avant de partir pour déjeuner ». Or, le Conseil des ministres se réunit à 9 heures. Gonse explique ainsi sa précaution : « Je me suis dit : Du Paty est léger, ardent, imprudent, n’aurait-il pas fait quelque démarche compromettante ? Nous entendions dans les journaux toutes ces histoires de femmes voilées ! »