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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


résolution fut convenablement annoncée dans les journaux « amis », il dicta à Christian une note, d’un style non moins noble, que le jeune homme porta à Drumont et à Rochefort.

La lettre convenue entre Pellieux et Esterhazy ne manquait ni d’éloquence militaire, ni d’émotion :

Mon Général,

Innocent, la torture que je subis depuis quinze jours est surhumaine.

Je crois que vous avez en mains toutes les preuves de l’infâme complot ourdi pour me perdre ; mais il faut que ces preuves soient produites dans un débat judiciaire aussi large que possible, et que la lumière complète soit faite.

Ni un refus d’informer, ni une ordonnance de non-lieu ne sauraient maintenant m’assurer la réparation qui m’est due. Officier, accusé publiquement de haute trahison, j’ai droit au conseil de guerre, qui est la forme la plus élevée de la justice militaire ; seul, un arrêt émané de lui aura le pouvoir de flétrir, en m’acquittant devant l’opinion, à laquelle ils ont osé s’adresser, les plus lâches des calomniateurs.

J’attends de votre haute équité mon renvoi devant le conseil de guerre de Paris.

Les journaux « amis », en chœur, vantèrent cette belle attitude. Rochefort redoutait que son ami ne tombât aux pièges des juifs. Cette pantalonnade fit beaucoup de dupes. Des journaux graves félicitèrent Esterhazy.

    avait écrit : « Innocent, vous le savez, la torture… Vous avez en mains toutes les preuves de l’infâme complot… » Pellieux supprime : « Vous le savez… » et corrige : « Je crois que vous… » Christian dit qu’il porta lui-même à Pellieux le projet de lettre. (Cass., II, 251. et Mémoire, 95.)