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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


repousse noblement le refus d’informer et s’engage à repousser de même, après la prochaine instruction, le non-lieu qui lui sera pareillement offert. Rien que l’acquittement solennel par un conseil de guerre peut le dispenser de déférer Mathieu et Scheurer au jury. Et son acquittement irrévocable, avec la force de la chose jugée, c’est la confirmation du crime de Dreyfus. L’affaire est finie.

Esterhazy se laissa convaincre, accepta le marché[1]. Ce service qu’il rend à l’État-Major met, plus que jamais, les généraux à sa discrétion. Il les tient déjà par sa menace coutumière de prendre la fuite, d’avouer son crime, de dénoncer les crimes qu’ils ont commis eux-mêmes pour le couvrir. Cette nouvelle complicité, une telle dérision de la justice, les lient à jamais.

Pellieux et Esterhazy étaient au mieux ; ils se rencontraient fréquemment en dehors du cabinet du général ; Esterhazy, le soir, allait l’attendre dans les maisons où dînait son juge. Pellieux entra dans la comédie ; tout en faisant publier qu’il concluait à un refus d’informer, il pressait Tézenas de décider son client à réclamer sa comparution devant un conseil de guerre[2]. Il corrigea ensuite lui-même le brouillon de la lettre qu’Esterhazy allait lui adresser, et qui avait été rédigée par l’avocat[3]. Et, comme il importait que cette

  1. Cass., I, 586, Esterhazy : » J’ai naturellement obéi. »
  2. « Paris, le 2 décembre 1897, le commandant Esterhazy à M. le général de Pellieux : Mon Général, Me Tézenas, se rendant enfin à vos avis, m’a rédigé la lettre suivante. Il se propose de la communiquer ce soir à l’Agence Havas, et j’ai tenu à vous en demander l’autorisation. Je ne vous la porte pas moi-même parce que vous m’avez interdit de me présenter chez vous. » (Scellés Bertulus.)
  3. Cass., I, 586, II, 247 ; Dép. à Londres, 1er mars, Esterhazy. — Le brouillon, corrigé de la main de Pellieux, fut saisi par Bertulus chez Esterhazy (Cass., I, 235, cote I, scellé 4). Esterhazy