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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


question de légalité dominait celle de culpabilité. En fait, elle la résolvait.

À travers les obscurités et le fracas de la bataille, une impression se dégageait : la justice militaire ignore la loi, le droit. Quand le ministre de la Guerre n’est pas lui-même l’auteur responsable de l’illégalité, il laisse faire.

Le Sénat se considérait comme le gardien de la légalité. Il l’avait défendue en toutes circonstances et, récemment encore, quand un ministère radical parut vouloir mettre la main sur la justice et « professa tout haut ce que l’Empire faisait tout bas, à savoir qu’un garde des Sceaux peut diriger les instructions criminelles[1] ». Il crut nécessaire, ayant frappé Bourgeois, d’avertir Méline.

Cependant, il n’osa pas attaquer de front, tant le courage même était alors mêlé de faiblesse ; il saisit un prétexte, très loin de l’affaire Dreyfus, une irrégularité commise dans l’administration de la justice civile ; et, voulant atteindre Billot, il renversa Darlan, le seul ministre qui inclinât à la revision[2].

Scheurer et ses amis votèrent contre Darlan, dont ils ignoraient la bonne volonté ; elle était bien connue de Méline. Il s’empressa de faire accepter la démission du garde des Sceaux, et, comme il se méfiait, prit lui-même l’intérim de la Justice. Le bruit courut d’un remaniement du ministère ; il venait de subir son premier échec, après dix-huit mois de bonne fortune. Barthou, très

  1. C’est ce que Waldeck-Rousseau avait rappelé en ces termes à Reims, dans son discours du 24 octobre 1897.
  2. 30 novembre 1897. — Il s’agissait de deux magistrats qui, permutant entre eux, dans le ressort de Montpellier, avaient été autorisés à prêter serment par télégramme. L’interpellateur (Joseph Fabre) expliquait la précipitation et l’étrangeté de la procédure par le désir de mettre l’un des deux magistrats déplacés en mesure d’être candidat dans son ancien ressort, aux élections générales de 1898.