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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


vement brusque, s’échappant, comme une flèche, vers les sommets. Il s’était fait, au cours d’une longue carrière, beaucoup d’ennemis, mésestimé par les uns, haï par les autres, craint de presque tous. Convaincu de la scélératesse d’Esterhazy, il ne l’était pas encore de l’innocence de Dreyfus, parce qu’il ne pouvait imaginer que le ministère de la Guerre, sous la République, eût violé les garanties de la loi pour faire condamner un soldat indemne de toute faute. Peut-être le juif n’a-t-il commis qu’une imprudence : il l’expie trop durement ; pourtant, il n’est pas possible qu’il soit sans reproche. Mais le certain, c’est qu’un jugement illégal doit être cassé et que ce grand trouble peut cesser seulement par la pleine lumière.

Les articles de Clemenceau, ceux du Figaro concluaient à la même interrogation : « Qui protège le commandant Esterhazy ? La loi s’arrête, impuissante, devant cet aspirant Prussien déguisé en officier français. Pourquoi[1] ?… Qui donc tremble devant Esterhazy ? Quel pouvoir occulte, quelles raisons inavouables s’opposent à l’action de la justice ? Qui lui barre le chemin ? S’il le faut, nous le dirons[2]. »

Cassagnac, pour retenir sa clientèle, invectivait, en termes poissards, les défenseurs de Dreyfus ; mais, en même temps[3], il publia l’attestation de Demange qu’une seule pièce, le bordereau, avait été communiqué à la défense : « S’il existe donc une autre pièce qui a été produite, contre toutes les règles de la plus vulgaire justice, au mépris de toutes les lois humaines, il y a lieu à reviser le procès. »

C’était l’avis de Clemenceau comme le mien, que la

  1. Aurore du 30 novembre et du 2 décembre 1897.
  2. Figaro des 1er et 2 décembre.
  3. 2 décembre.