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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Rochefort avait attribué à Mathieu Dreyfus l’idée d’atténuer son accusation et de soutenir qu’Esterhazy n’était qu’un escroc, attaché au contre-espionnage, et qui avait écrit le bordereau par ordre[1]. C’est la thèse qu’Esterhazy adoptera plus tard. Drumont le fit questionner par un de ses rédacteurs ; Esterhazy répliqua que « c’était idiot[2] ».

Il n’en était pas encore réduit à ces défaites. Du Paty lui faisait dire par Christian qu’il ne passerait même pas en conseil de guerre. Il combina avec Henry un nouveau stratagème qui, avec un peu de chance, permettrait à Pellieux de clore immédiatement son enquête et de nous faire écraser, Scheurer et moi, sous les huées.

Il s’agissait de prendre « les faussaires à leur propre piège », — c’est-à-dire de fabriquer un faux de plus.

Lemercier-Picard était alors le faussaire favori d’Henry ; il fut chargé de l’opération. Il était beau parleur, l’extérieur d’un sous-officier retraité (il portait le ruban de la médaille militaire), la physionomie énergique, avec un œil qui louchait[3].

Il se présenta, d’abord, dans les bureaux du journal Le Radical, dont Ranc était le collaborateur, et dans ceux du Figaro, où il fut reçu par de Rodays. Il raconta qu’il était au service du bureau des renseignements et qu’il avait été chargé, le 15 décembre 1893, de filer deux officiers dont les allures étaient suspectes. Ils fréquentaient le secrétaire d’une ambassade étrangère qui répondait au nom d’Otto. L’un d’eux était Esterhazy, l’autre un officier du nom de Milon-Mercier. Quelques jours après, le 24 décembre, il les avait suivis à Bruxelles où Milon-Mercier avait disparu, pendant qu’Esterhazy, avec

  1. Intransigeant du 19 novembre 1897.
  2. Libre Parole du 20.
  3. Écho de Paris et Figaro du 6 mars 1898, etc.