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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’artillerie, je l’ai eu seulement en août ; comment l’aurais-je promis en mars à Schwarzkoppen ? Les troupes de couverture ? Je n’ai eu quelques détails sur la mobilisation du 74e de ligne qu’en septembre. À moins qu’un officier d’État-Major ne m’ait renseigné, car, sur ce sujet, on ne peut avoir d’indication intéressante qu’à l’État-Major. De même, pour les nouvelles formations de l’artillerie. Pour le frein de 120, il n’en a pas été question aux écoles à feu de 1894, et l’on n’a même pas tiré cette pièce à Châlons. Mais eussé-je été documenté sur le 120 du 5 au 9 août, comment aurais-je pu divulguer, en avril, ce que j’ai appris quatre mois plus tard[1] ?

Ainsi, Esterhazy ne s’abaisse pas à dire à Pellieux que les questions, traitées au bordereau, dépassent sa compétence, et que, seul, Dreyfus a pu en être instruit. Sa fierté lui est revenue. Que la presse répande cet argument saugrenu et que des députés l’acceptent[2], c’est tout bénéfice. Mais, soldat répondant à un soldat, il se borne à affirmer qu’il n’a pu avoir ces renseignements qu’à la fin de l’été, — donc, après la date assignée par Mathieu lui-même au bordereau.

Cet acte d’accusation de d’Ormescheville, qui, adroitement, par des identifications tendancieuses, fait naître dans l’esprit des juges et, par contre-coup, dans tout le corps d’officiers, l’impression, puis la conviction, que le bordereau est d’avril ou de mai et non de septembre, a donc préparé l’alibi d’Esterhazy.

Mais cet alibi lui-même, si Pellieux avait eu quelque curiosité, n’eût pas sauvé Esterhazy. En effet, dès le printemps de 1894, en mars, sept mois avant d’écrire le bordereau, Esterhazy avait fait offrir à Jules Roche des renseignements précis sur la mobilisation :

  1. Cass., II, 99 à 101.
  2. Par exemple, Camille Pelletan. (Voir p. 73.)