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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Au conseil des ministres, Billot parut embarrassé. Ses collègues (sauf Méline) entendaient pour la première fois le nom d’Esterhazy. Il en parla comme d’un bon soldat, dont la vie privée, toutefois, n’était pas sans reproche. Félix Faure ne dit rien des lettres qu’il avait reçues du bandit. On décida d’ouvrir une enquête.

Un peu plus tard, à la Chambre, le prince d’Hénin, dès le début de la séance, réclama des explications « nettes et précises » ; « l’armée et le pays les attendent ».

Billot, mal à l’aise et se roidissant, lut une déclaration concertée avec Méline. Il n’y affirmait plus la culpabilité de Dreyfus, mais seulement, que « le résultat de ses recherches (avant et depuis les démarches de Scheurer) n’avait ébranlé nullement, dans son esprit, l’autorité de la chose jugée ». Bien plus, il a invité Scheurer à saisir le garde des Sceaux « dans les formes prescrites par la loi ». (Il n’écarte donc pas l’idée de la revision comme une hypothèse absurde.) Maintenant, c’est la famille de Dreyfus elle-même qui intervient. Dès lors, le Gouvernement se voit obligé de mettre le dénonciateur « en mesure de produire ses justifications » ; « il le doit à la justice et à l’honneur même de l’officier qui est en cause ».

Billot évoqua enfin « l’honneur de l’armée » ; « il en est le gardien, il veillera à la sûreté du pays[1]. »

Avant la séance, Leblois, que je voyais pour la première fois[2], m’avait raconté ce qu’il savait de l’aventure de Picquart et fait lire les lettres de Gonse. J’observai Billot pendant qu’il occupait la tribune ; il était très pâle, luttant contre une honte que la Chambre prit pour un doute ; elle applaudit à peine.

  1. Séance du 16 novembre 1897.
  2. Ce jour-là, il vit également Demange pour la première fois (Procès Zola, I, 384, Demange.)