Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
ESTERHAZY


dales, une liaison publique avec une fille rencontrée au Moulin-Rouge[1], avaient amené une rupture violente avec ses beaux-parents[2], il jouait maintenant une autre comédie, celle du père de famille malheureux, prêt à subir toutes les épreuves, mais torturé par la pensée de sa femme et de ses petites filles, « si gaies, joueuses, joyeuses, qui sont à la veille de manquer de pain ».

Cependant, la farce-tragédie se précipitait. On le vit alors agitant mille projets, dans une fièvre continuelle qu’il entretenait à grands verres d’eau-de-vie, d’une gueuserie tantôt lamentable, tantôt offensive, pérorant sans cesse, et c’est toujours le même discours, la même plainte contre le destin, d’une fureur monotone, la figure ravagée, l’œil hagard et mauvais.

Certainement, un suprême combat se livra alors en lui. A-t-il déjà, comme il en a été accusé il y a peu de mois[3], et, plus anciennement encore, en Afri-

  1. Marie, dite Marguerite Pays. Elle avait alors vingt-deux ans. — « Comme le b… me répugne, écrit Esterhazy (ce n’est peut-être pas le goût du ministre, mais enfin !), comme je n’ai pas envie d’attraper le mal des croisés et que mes ressources ne me permettent pas la fréquentation de Liane de Pougy et Cie, j’ai trouvé à Rouen (car elle habite de temps à autre Barentin où elle est propriétaire) une femme qui habite aussi Paris, que je n’entretiens pas, et qui, moyennant une modeste rétribution, veut bien de temps à autre dénouer sa ceinture. » (Cass., I, 768, lettre à Jules Roche, de décembre 1896.) — Plus tard, Esterhazy et la fille Pays habitèrent ensemble. (Du 1er janvier 1896 jusqu’à la fuite d’Esterhazy, au n° 49 de la rue de Douai.) Le bail fut au nom d’Esterhazy jusqu’au mois d’octobre 1897.
  2. Dans sa lettre de juin 1894 à Weil (voir p. 92), il attribue cette rupture à l’antisémitisme du marquis et de la marquise de Nettancourt, qui lui auraient reproché d’avoir assisté Crémieu-Foa contre Drumont.
  3. Esterhazy avait été dénoncé, en 1892, au général Brault, chef du cabinet du ministre de la Guerre, comme suspect d’espionnage, en relations avec des attachés étrangers. La dénon-