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ESTERHAZY


éclata en fureur ; il commença par nier sa dette ; l’huissier signifia à dame Gabrielle Cartier, veuve de Boulancy, « que le requérant proteste de la façon la plus formelle contre l’acte à lui notifié » ; il n’a jamais reçu un centime « des 36.517 francs que ladite dame prétend lui avoir versés à titre d’avances[1] ». Il fallut la menace d’un procès pour lui faire rendre six mille francs sur trente-six. On convint, de part et d’autre, de détruire les lettres échangées. Dès qu’Esterhazy supposa que Mme de Boulancy s’était démunie, il lui écrivit : « Vous croyez peut-être que j’ai brûlé vos lettres, j’aurais été trop naïf ; je les ai gardées toutes et je saurai m’en servir au moment opportun. » Et, après deux grandes pages d’injures : « Soixante-dix-huit de vos lettres sont chez un avoué et, même si je viens à mourir, elles ne seront pas perdues. C’est français, cela ! Je vous salue[2]. » Sur quoi Mme de Boulancy répliqua qu’elle avait, elle aussi, gardé les lettres dont la destruction avait été stipulée dans l’arrangement et qu’à la première occasion elle dénoncerait Esterhazy au ministre de la Guerre.

Ses notes militaires, jusqu’à son séjour en Tunisie, avaient été médiocres[3]. Désormais, elles sont excellentes, grâce à quelque mystérieuse protection ou par suite d’un aveuglement qui tient du prodige. En 1881 : « Manière de servir parfaite ; grande énergie mo-

  1. Acte du 10 janvier 1885, signifié par H. Bazin, huissier. Le requérant « fait réserve de tous ses droits généralement quelconques pour réclamer à ladite dame tels dommages-intérêts qu’il avisera pour le cas où elle se livrerait à son égard à des actes de procédure vexatoire ». — Cette assignation fut rendue par Mme de Boulancy à Esterhazy, conservée par lui, puis vendue, avec un lot de vieux papiers, en 1901, à Dommartin.
  2. Figaro du 2 décembre 1897.
  3. Voir p. 32.