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HENRY


a « la tête absolument à l’envers », et il « ne dort plus qu’à coups d’opium ».

Et, si ses ennemis l’emportent, il est, cette fois, acculé vraiment au suicide dont il a tant joué, sans ressources suffisantes, même pour fuir à l’étranger. Il a perdu le peu d’argent qui lui reste. « Voilà cinq mois, écrit-il à son ami, que je lutte. » — Ici encore, par un autre aveu involontaire, il donne, à un mois près, la date où Henry l’a averti que Picquart est sur ses traces. — « Voilà cinq mois des plus horribles supplices qu’un être puisse supporter, et je suis encore plus désespéré que le premier jour ; toutes les espérances que j’avais se sont successivement évanouies. » Il lui reste, pour tout avoir, « les 459 francs de sa solde, qui va être frappée d’opposition du cinquième ». Pour payer le retour des siens de Dommartin à Paris et « pour se procurer le narcotique qui lui donne quelques heures de sommeil », il a vendu « à un brocanteur de Châlons les épaulettes, le ceinturon et la dragonne de son père ».

À tout prix, il lui faut de l’argent. Et à qui en demander ? Encore une fois, il supplie Weil de s’adresser aux Juifs, « qui sont cause de sa perte[1] », de leur rappeler son rôle dans les duels de Crémieu-Foa. Il est tellement à bout, si troublé, qu’il joint la menace à la prière. Si on l’aide, « Drumont, qui lui porte beaucoup d’intérêt[2] » et sur lequel « il a une véritable influence », saura reconnaître le service rendu à un ami tel que lui ; « l’aide qu’on lui prêtera pourra être très utile par la suite ». Mais, si les Juifs l’abandonnent et

  1. Cass., I, 307, Weil : « Il me déclara que, les Juifs étant cause de sa perte, c’était à eux de le sauver. »
  2. « J’ai là, vous en avez eu la preuve répétée, une véritable influence. »


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